Par Benjamin Barthe, Le Monde 27 février 2021
Le gratte-ciel de luxe incarnait depuis 2013 un Liban tourné vers la prospérité. Détruit par l’explosion du 4 août 2020, il est toujours, six mois après, une carcasse inhabitable. Victimes de la paralysie du pays, ses résidents désespèrent d’y retourner un jour.
Il était l’un des gratte-ciel emblématiques du nouveau Beyrouth, sorti de terre après la guerre civile qui s’est achevée en 1990. Un repère immanquable sur le front de mer, à la modernité ostentatoire. Ses 90 mètres de haut, l’éclat noir de sa façade rehaussée par d’immenses baies vitrées et les deux perches en forme de canon plantées à son sommet lui donnaient l’allure d’un gros robot.
Sa masse écrasait un peu le quartier environnant, Mar Mikhael, fait de modestes maisons de deux ou trois étages, abritant des bars branchés et des ateliers d’artistes en rez-de-chaussée. Mais ses promoteurs et la municipalité ne s’en étaient guère préoccupés. Habité par le gratin des médias, du design et de la finance, le Skyline, inauguré en 2013, se voulait le symbole d’une ville à l’ambition retrouvée, rêvant de rivaliser avec Singapour ou Dubaï, outrances comprises.
Lacéré, arraché, déchiqueté
Le 4 août dernier, jour de l’explosion du port de Beyrouth qui a fait 204 morts et au moins 6 500 blessés dans la ville, ce colosse de verre et de béton a mis les genoux à terre. Entre lui et le hangar 12 du port, de sinistre mémoire, qui abritait depuis six ans une bombe à retardement – un stock de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d’ammoniumnégligé par les autorités –, il n’y avait que 300 mètres, en ligne droite, sans le moindre obstacle. Le souffle causé par la détonation a pulvérisé toutes les fenêtres du bâtiment, lacéré ses terrasses, arraché son bardage, déchiqueté toute son enveloppe extérieure. Comme si un monstre l’avait dépecé, lui laissant les entrailles à l’air et quelques os pour tenir encore debout.
Deux habitants de l’immeuble ont trouvé la mort dans ce cataclysme. Des dizaines d’autres, locataires ou propriétaires, ont été blessés, certains très grièvement. A la manière des naufragés du Titanic, embarquant en catastrophe sur les canots de sauvetage, tous ont abandonné leur luxueux appartement de 200, 300 ou 400 mètres carrés, désormais squattés par une montagne de morceaux de verre, de meubles fracassés et de montures d’aluminium tordues. Six mois plus tard, rien n’a changé ou presque.
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